Elles n’ont aucun pouvoir magique, pourquoi les personnes accusées de sorcellerie avouent-elles ?

En février 2020, la vidéo d’une jeune servante accusée de sorcellerie faisait le tour des réseaux sociaux au Mali. Sous l’interrogatoire acerbe de ses « patrons » elle avouait le « crime » et relatait aussi avec une précision scientifique les détails de ses « opérations maléfiques « [1]. Des scènes similaires, filmées et mises sur internet sont monnaies courantes un peu partout en Afrique. Au Burkina le centre de refuge pour « mangeuse d’âme » abrite des centaines de femmes sorcières dont beaucoup auraient avoué leurs crimes [2]. Un centre similaire accueille à Accra des femmes ghanéenne bannies de leurs villages pour cause de sorcellerie [3]

De tout le temps et partout, l’aveu, sous la menace ou délibérément, a été et constitue le gold standard du diagnostic de la sorcellerie. Il constitue aussi pour beaucoup la preuve irréfutable de l’existence d’un pouvoir magique chez les sorcièr.e.s.

De nombreux scientifiques, pour qui la chose demeure une superstition, se sont intéressés aux croyances et aux pratiques liées à sorcellerie et ont écrit une pléthore de livres et d’articles abordant le phénomène avec un regard purement matérialiste.

Pour les scientifiques, les incidents ou événements physiques ont des causes physiques, et comme le révèle Brehima Mariko dans « Les empoisonneurs de la nuit, Subagaw », la sorcellerie n’en fait pas exception. Pour lui il s’agit essentiellement des pratiques qui prennent leurs origines à l’époque des chefferies qui imposaient leur domination par la peur et la mystification de leur connaissance des propriétés des plantes et venins. Mariko ne déconstruit pas seulement les chimères magiques derrières les pratiques de la sorcellerie, il défend aussi l’intérêt et la nécessité d’une telle démarche et invite à démystifier et dépasser ces croyances veillottes et puériles pour parvenir à une société prospère[4].

Si la sorcellerie n’est qu’une superstition, pourquoi les personnes accusées avouent-elles ?

La torture physique ou psychologique.

Bien que les aveux spontanés existent, la grande majorité des personnes accusées de sorcellerie avouent sous la menace ou la torture. Au moyen âge, en Europe, les moyens de tortures allaient de la noyade au bûcher [5]. Ces méthodes ne sont bien entendues pas ou plus pratiquée en Afrique, mais la torture n’en demeure pas moins inexistante, comme on peut le voir dans cette vidéo [6] où l’accusé placé dans une tombe est menacé d’être enseveli vivant s’il n’avoue pas son crime.

En effet les fausses confessions, avec détails à l’appui, n’est pas l’apanage des seules personnes accusées de sorcellerie. Sous la pression de l’interrogatoire, certaines personnes peuvent avouer des crimes dont elles sont innocentes dans le cadre même des enquêtes policières et deviennent convaincus de leur propre culpabilité. Selon un programme géré par l’Université de Californie, cela concerne plus de 300 personnes dans les 60 dernières aux USA [7]. Les mécanismes psychologiques en cause sont le stress, le traumatisme, le sentiment « d’en finir avec ». Comme avec les aveux de sorcellerie, le suspect confesse ce que « ses bourreaux » veulent entendre. « …La police pose des questions directrices. Ils montrent des photographies. Ils les emmènent sur les lieux du crime. Les suspects reçoivent les informations dont ils ont besoin pour se confesser » [8]

Santé mentale déficiente.

Les personnes accusées de sorcellerie ont un profil bien particulier. Il s’agit en générale des individus socialement isolée, indigente voir mentalement déficiente et à majorité de sexe féminin. L’aspect mental est d’une importance singulière, car de lui part la conviction du ou de la victime d’avoir des pouvoirs magiques. Comme le cite Edward Bever « les confessions de sorcellerie sont …comme une sorte de dysfonctionnement cognitif résultant soit d’un défaut psychologique individuel ou d’un défaut culturel plus général : la confession ou l’aveu est soit une tentative ex post facto d’attirer l’attention, soit une illusion narcissique de contrôle pour compenser une impuissance » [9].

Pour conclure ,nous citons l’utilisateur Serge Abran dans un post sur Facebook « La seule réalité [de la sorcellerie] réside dans la croyance de ceux qui y croient. Partageant les croyances de son milieu, une femme accusée de sorcellerie peut se croire vraiment sorcière (surtout qu’en général ni son intelligence n’est très développée ni sa santé mentale tout à fait au point): Elle adopte alors un comportement comme celui que son milieu attribue aux sorcières, avec un attirail tel que le milieu en attribue aussi aux sorcières, et quand le hasard amène des conséquences comme celles qu’on croit procéder de la sorcellerie, elle croit sincèrement que ces choses sont le résultat de ses envoûtements »[10]


[2] BURKINA FASO – Ouagadougou, dans le refuge pour les (…) – Agora Francophone, l’information revitalisée (agora-francophone.org)

[1]https://www.facebook.com/2055867867970352/videos/440344160146704

[3] Ghana : ces « sorcières » exilées dans des camps (afrik.com)

[4] https://www.matierevolution.fr/spip.php?article2437

[5] Inquisition – La cruauté de l’église et ses méthodes de torture (theologe.de)

[6] Équinoxe Tv – Posts | Facebook

[7] Browse the National Registry of Exonerations (umich.edu)

[8] The Substance of False Confessions by Brandon L. Garrett :: SSRN

[9] The Realities of Witchcraft and Popular Magic in Early Modern Europe- Culture, Cognition, and Everyday Life- Edward Bever

[10] Facebook

 

 

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